Monday, February 19, 2007

Goran Bregović, Robin des bois des Balkans

Goran Bregović présente au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles une nouvelle composition : une prière de tolérance adressée aux prophètes de trois religions monothéistes. La rock star de Sarajevo se livre au BOZAR MAGAZINE avant d’envoûter la salle Henry Le Bœuf, le mercredi 25 avril, avec son légendaire Wedding and Funeral Band, l’Absolute Ensemble de Kristjan Järvi et un chœur de voix bulgares.

Né à Sarajevo d’un père serbe et d’une mère croate, Goran Bregović a laissé tomber ses études de violon au Conservatoire pour devenir la rock star des pays de l’Est, à la tête de son groupe Bjelo Dugme. « Bouton Blanc » pendant 15 ans, il compose par la suite les musiques de film de son compatriote Emir Kusturica, utilisant des sons traditionnels gitans et issus des Balkans. Les musiques traditionnelles d’Europe de l’Est ont longtemps été orchestrées et recomposées par des ensembles mélangés et classiques comme, par exemple, le Mystère des Voix Bulgares. Bregović élargit le concept en y ajoutant ses propres impulsions. En effet, ses compositions mélangent les polyphonies traditionnelles de Bulgarie aux sonorités d'une fanfare tzigane, d'une guitare et de percussions aux accents rock... Et les mauvaises langues de prétendre que s’il le pouvait, Goran Bregović s’approprierait la Neuvième de Beethoven... Laissons plutôt la parole au compositeur. Il nous parle de son processus de « non-création » et de son désir de partager avant tout sa musique avec le monde.

ENTRETIEN_______________________________________________

Goran Bregović, vous allez créer le 17 avril, à Athènes, une œuvre commandée par notre réseau ECHO (European Concert Hall Organisation), et ensuite dans neuf autres villes européennes, dont Bruxelles le 25 avril.. Expliquez-nous l’origine de ce projet ?
Je reprends comme point de départ de cette commande un précédent travail intitulé My heart has become tolerant (Mon cœur est devenu tolérant) et présenté pour la première fois au Festival de Saint-Denis, en juin 2002. J’y avais uni trois chanteurs des trois grandes religions monothéistes avec le chœur orthodoxe de Moscou, un ensemble à cordes du Maroc, et mes musiciens. Avec un thème : la réconciliation. J’y utilisais des musiques de traditions islamique, chrétienne et juive. Pour ECHO, je vais écrire trois lettres aux prophètes, repartant de ce même thème qu’est la tolérance.

Pourquoi avoir choisi pour titre Forgive me, is this the way into the Future ? (Pardonne-moi, est-ce bien la voie vers le furur)
J’ai réfléchi à la manière dont nous voyons notre futur. J’ai alors décidé de faire cette petite liturgie, ni religieuse, ni blasphématoire. Comme pour My heart has become Tolerant, j’espère que le public rêvera à un monde idéal le temps d’un concert…

Vous êtes passé par des styles de musique très différents durant votre carrière, à commencer par le rock, dont on sent encore l’influence dans vos compositions actuelles. Comment gérez-vous cela ?
J’ai monté mon premier groupe à seize ans. À l’époque, le rock tenait un rôle capital dans notre vie. C'était la seule possibilité que nous avions de faire entendre notre voix, d'exprimer publiquement notre mécontentement, sans risquer de nous retrouver en prison. Mais j’aime en effet changer de styles musicaux, un peu comme je change de vêtements chaque jour. Ma musique porte différents costumes.

Faites-vous passer certains messages plutôt que d’autres selon le style de musique ?
La musique vous permet de dire tout ce que le langage ne permet pas. C’est ainsi que je communique avec le monde, et je compte continuer dans cette direction.

Les mêmes rythmes reviennent dans vos différents titres, depuis Bjelo Dugme jusqu’à vos plus récentes compositions. Certains disent que vous ne créez pas, que leurs répondez vous ?
Que je ne suis pas Dieu, et qu’en effet je ne crée pas.

Vous partez beaucoup des musiques traditionnelles, des Balkans notamment…
Oui, je vole dans la tradition. Être artiste n’est pas un travail moral, vous volez toujours. Je compose, réarrange, j’ajoute quelque chose de moi-même, mais je ne crée pas. Je partage ensuite ma musique avec les autres.

Vous êtes originaire de Sarajevo, région sortie d’une guerre très difficile il y a à peine 11 ans, et culturellement très mélangée. Votre musique exprime-t-elle cette mixité ?
Oui. Je viens d’un lieu musicalement éclectique, à la frontière entre orthodoxes, catholiques et musulmans. Aujourd’hui, j’aimerais retourner dans ces régions pour présenter le projet ECHO.

Vous avez jusqu’ici travaillé avec de nombreux artistes de renommée internationale comme Iggy Pop, Ofra Haza, Sezen Aksu ou encore Cesaria Evora. Que vous ont apporté ces collaborations ?
Ce sont des gens à qui j’aurais en temps normal demandé un autographe. Vous savez, je ne suis pas un gars du show-business, et ils le savent. Je me suis donc dit, si tu veux travailler avec ces gens, demande-leur. C’est ce que j’ai fait, et j’ai une belle collection d’autographes à ce jour…

Au départ, vous étudiez le violon au Conservatoire. Pourquoi avoir finalement choisi la guitare ?
Parce que les guitaristes ont plus de succès auprès des filles !

Le public bruxellois aura-t-il le plaisir d’écouter vos compositions de films qui ont fait votre succès ?
Ce n’est pas prévu pendant le concert, mais certainement lors du rappel !

Propos recueillis par Canan Marasligil alias Ayse Erin, pour le BOZAR MAGAZINE d'avril 2007.

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